Valérie Cain Bourget

Crédit photo: Valérie Cain Bourget

Crédit photo: Valérie Cain Bourget


Crédit photo: Valérie Cain Bourget
DANS LES ENTRAILLES DU RAVIN
Valérie Cain Bourget
Cependant, durant son séjour, l’artiste a découvert un ancien dépotoir clandestin au bord de la rivière, en face de la Gare, issu d’une époque à laquelle chacun devait s’organiser avec ses vidanges. Souvent porteuses de mémoire et d’informations précieuses, ces poubelles renseignent sur les modes d’existence du passé. À la manière d’un site archéologique, l’artiste a arpenté le lieu telle une zone d’observation pour en extraire des matériaux de construction et autres rebuts.
Lors de ses fouilles, Valérie Cain Bourget a retrouvé sa matière première de prédilection, soit le polystyrène expansé, disséminée ici et là en une multitude de rebuts, probablement drainée par les inondations. Matériel universel révolutionnaire servant d’isolant que l’on retrouve dans tous les recoins du monde sous forme de déchets imputrescibles, ces morceaux de plastique dérivés du pétrole brut et composés à 95% d’air, reprennent vie dans leur nouvel environnement, se régénèrent sous l’effet d’une métamorphose entropique, digérés peu à peu par la forêt.
Souvent retrouvées sous forme de petites plaques provenant de plus grands panneaux, ces véritables surfaces poreuses, parfois brillantes telle une pépite fragile mais indestructible, portent les traces du temps et impriment toutes sortes d’informations : des insectes les ingurgitent et forment des canaux intérieurs leur servant d’habitacle, d’autres animaux y laissent la trace de leur passage. Les intégrant à ses installations, l’artiste leur redonne un nouveau souffle artistique.
Sous la forme d’un petit livret artisanal, 1- Mon beau ravin témoigne des déambulations de Valérie Cain Bourget dans le ravin par des fragments d’écriture automatique que celui-ci lui a inspiré. Les gants de construction ayant servi à extraire les éléments et autres artéfacts sont exposés au public.
Dans l’installation 2- Spéléothème, une plaque de polystyrène est utilisée à la manière d’une tablette d’argile, première page d’écriture de l’humanité. À sa surface, sont incrustées de petites écorces de bois, organisées selon une grille qui rappellent les lignes d’une feuille de papier et la manière dont les peuples anciens inscrivaient leur écriture à l’aide d’un stylet en roseau taillé en biseau. D’autres morceaux informes de polystyrène sont superposés l’un à l’autre, telle une colonne défaillante au bord de l’effondrement, et une autre plaque tient en équilibre précaire, retenue par une branche de bois sec.
Tels des trophées rendant hommage à ce cimetière de déchets, l’artiste a, dans 3- Paysage d’un effondrement ordinaire, méticuleusement disposé sur un socle muséal le butin de ses fouilles : artéfacts, brindilles séchées, pièces métalliques rouillées et morceaux de plastique se côtoient dans un assemblage hétéroclite, témoignant de leur proximité improbable sur un même site.
Dès son premier jour de résidence à Matapédia, l’artiste a filmé le paysage mélancolique qui s’offrait à elle sous une pluie incessante, filtrant la lumière à travers un écran d’eau. 4- Aube, filmée avec une caméra désuète, met en valeur les défaillances techniques du vieil appareil, tant d’un point de la pixellisation, de la couleur rose exacerbée que de la voix automatique saccadée. Elle questionne cette image pauvre en contraste à notre rapport à la haute définition.
À la fonctionnalité non définie et trouvés en grand nombre dans le ravin, des plots de plastique énigmatiques forment une ronde rituelle dans 5- Code d’erreur, alors qu’une projection superposée rend compte de la collecte des rebuts par la main de l’artiste, les gants blancs de muséologie ayant été troqués par des gants de construction.
Dans la salle d’attente, Est-il possible de lire l’avenir dans les entrailles d’une vieille dompe ? se compose de deux morceaux de polystyrène trouvés dans le site d’enfouissement : l’un témoigne du passage d’un animal par l’empreinte de son sabot et l’autre celle de l’écriture de l’artiste qui a poinçonné cette question, relevant de l’ésotérisme lorsque les devins lisaient l’avenir dans les entrailles d’un animal sacrifié.
Résultant d’une forme de réflexion écologique et anticonsumériste, Dans les entrailles du ravinregroupe un corpus d’œuvres quasiment toutes produites à partir d’éléments trouvés dans un rayon de moins de 100 mètres de l’atelier de l’artiste à la Gare. Valérie Cain Bourget a également démontré son intérêt à construire de nouvelles configurations à partir de défaillance, de rebuts, de matière de transition. Ses structures précaires racontent autant la débrouille que la résilience des classes travaillantes hors des grands centres urbains, tout en affirmant son attirance pour les non lieux, les espaces de transition dans une forme de mélancolie relative aux temps présents.
L’exposition Dans les entrailles du ravin est présentée à la Gare de Matapédia – Pôle artistique et communautaire, du 15 novembre 2025 au 1er avril 2026, ouvert au public les jeudi, vendredi et samedi, de 11h à 17h. Des boissons chaudes et des pâtisseries sont disponibles aux heures d’ouverture de l’exposition.
Caroline Andrieux, commissaire de l’exposition
À PROPOS DE VALÉRIE CAIN BOURGET
Dans de petites installations précaires et des vidéos texturées, le travail multidisciplinaire de Valérie Cain Bourget consiste à créer des univers oniriques désenchantés, produit avec des matériaux trouvés et une économie de moyen. Ses références sont issues d’un monde dystopique évoqué par une organisation post apocalyptique au style DIY. À travers la reconfiguration organisationnelle de matériaux frustes et d’éléments collectés dans la nature, l’artiste étudie les structures de mécanismes improvisés et de dispositifs artisanaux, construits en situation d’urgence. Cain Bourget s’inspire largement des paysages vernaculaires de la Gaspésie avec des références constantes à l’horizon, à la mer et à la nature, aux pilotis, au feu de camp, et à la chasse dont les pièges. Elle explore les codes esthétiques, les mécanismes de ce type d’assemblage improvisé (piège, abris, collecteur de pluie,…) nécessaire dans un contexte d’après-fin. Qu’il s’agisse d’un caillou, d’une vidéo détériorée par la création d’erreurs de compression ou d’un isolant issu de l’industrie pétrochimique, les éléments sont mis à profit de la même façon en agissant à l’extérieur d’une hiérarchie qui établirait leur valeur. Cain Bourget donne une nouvelle prestance aux matériaux qu’elle utilise pour poursuivre sa réflexion sur le nouveau-rudimentaire. L’artiste y questionne l’impermanence et le virtuel et aborde l’empathie des consciences synthétiques dans un contexte d’après-fin.
Artiste sculptrice et vidéaste originaire de Cap d’Espoir, Valérie Cain Bourget complète actuellement sa Maîtrise en arts visuels et médiatiques à l’Université Laval (Québec). Les débuts de sa carrière professionnelle sont jalonnés de belles reconnaissances par des prix et des invitations dans des centres d’artistes et des fondations reconnues. Récipiendaire des prix Louise Viger et Tomber dans l’Œil en 2023, Cain Bourget a réalisé sa première exposition dans un centre d’artistes en 2024 avec Code d’erreur : l’aube à la petite salle de l’Œil de Poisson. En 2025, l’artiste a exposé collectivement à l’Écart de Rouyn-Noranda et a réalisé une résidence au centre Sagamie au Saguenay. Elle a été l’une des finalistes pour le prix de la relève artistique Télé-Québec et vient de remporter le prix Horizons nouveaux de la Fondation Grantham.
Après un séjour de 3 mois à la Gare dans le cadre de la nouvelle Résidence Cap Gaspésie, l’artiste présente Dans les entrailles du ravin ses dernières œuvres produites récemment.
présentation Samedi 27 Septembre
de 11h à 13h
Fanny Aboulker, Guimauvé·e-paysage, 2022 © Dorah Claude
Vernissage,
Samedi 15 novembre
de 11h à 13h
RADIO-CANADA – Marie–Claude Tremblay – Première escale
Dans les entrailles du ravin : hommage à un dépotoir
